Mémoires de la vie de François Dusson, où l'on voit tout ce qui s'est passé de plus considérable pendant les derniers troubles de France au sujet de la Religion
Mémoires de la vie de François Dusson, Seigneur de Bonrepaux, Bonac, Bezac, Seignaux et Montolieu. Où l'on voit tout ce qui s'est passé de plus considérable pendant les derniers troubles de France au sujet de la Religion, Amsterdam, Pierre François, 1677, pp.43-79: https://books.google.fr/books/about/M%C3%A9moires_de_la_vie_de_Fran%C3%A7ois_Dusson.html?id=vAZhAAAAcAAJ&redir_esc=y.
(1) C'est ce texte qui a inspiré Le capitaine Dusson et le siège du Mas d'Azil (Napoléon Peyrat, L'Arise, Paris, 1863, pp.260-352, d'abord publié dans le Bulletin de la SHPF en mai-juillet 1856 sous le titre Le capitaine Dusson et les défenseurs du Pays de Foix, ses compagnons). Et, par son intermédiaire, 12 ans plus tard, le roman du théologien et littérateur réformé allemand August Ebrard (1818-1888) sous le pseudonyme de Gottfried Flammberg: Hugonottengeschichten, Mas d'Azil, Der Flüchtling (Stuttgart, Steinkopf, 1875), traduit l'année suivante par Justin Chaptal: Le Mas d'Azil, nouvelle historique (Paris, Bonhoure, 1876).
(2) Bonrepaus et la Révocation de l'Édit de Nantes, Bulletin de la SHPF 141 (janvier-mars 1995), pp.71-85: https://www.jstor.org/stable/24298205.
(4) Le recueil de manuscrits du Fonds Français 4102 (où est le récit de Saint-Blancard) contient aux folios 98 et 99 deux lettres du Roi à Rohan, écrites par Phélypeaux d'Herbaut à Saint-Germain en Laye le 13 juillet. Elles rejettent entre autres la demande de Rohan que la Chambre de l'édit revienne de Béziers à Castres ainsi que toute autre demande, mais sont sinon d'un ton accommodant, incitant Rohan à revenir au nord du royaume: «Votre présence pourrait être fort utile par deçà pour vous sortir de toutes ces affaires. C'est pourquoi, maintenant que votre demeure est inutile aux lieux où vous êtes, il semblerait être à propos que vous approchassiez en ces quartiers, soit pour demeurer en vos maisons ou près du Roi à votre choix, ce qui à mon avis avancerait beaucoup votre contentement et dissiperait les ombrages que votre long séjour par delà peut produire».
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Thémines s'attaque au Pays de Foix
Cependant, la guerre ne laissait pas de se faire avec beaucoup de vigueur, pendant que l'on travaillait à la paix avec beaucoup d'assiduité. Dans le temps que le duc de Rohan (1) est obligé d'aller au Bas Languedoc pour s'assurer par sa présence les esprits qui étaient divisés et que l'on avait beaucoup préoccupés contre lui (2), le maréchal de Thémines entre dans l'Albigeois avec une armée considérable et jette partout la terreur et la consternation (3). Le duc ayant appris cette nouvelle, tourna ses armes contre lui avec une diligence incroyable, après avoir donné le meilleur ordre qu'il put aux affaires des Cévennes. Il trouva déjà que le maréchal s'était avancé jusques aux portes de Castres pour faire le dégât. Mais il fut reçu avec tant de vigueur par le bon ordre et la résolution de la duchesse de Rohan (4), qu'il reçut beaucoup de perte dans toutes les escarmouches qui se firent. Voyant qu'il n'était point en état de rien entreprendre contre Castres, il se retira à Saint-Paul de Damiatte, qu'il prit d'assaut et qu'il brûla (5). Il tourna ensuite du côté de Réalmont, et puis vers la montagne du côté de Brassac jusques à Viane (6). Mais il fut chassé de par tous ces endroits par le duc de Rohan qui cherchait à le surprendre dans un pays qu'il connaissait mieux que lui. Le maréchal enfin ne vit d'autre parti à prendre pour lui que de se retirer. Il passe à Lavaur et de là, va se jeter en Foix par Calmont pour aller assiéger le Mas d'Azil (7).
(1) Comme indiqué plus haut, des négociations sérieuses entre Rohan et la Cour ont commencé dès le 3 juillet par l'intermédiaire d'une délégation envoyée depuis Castres (avec Madiane et Dusson) et Montauban. Ces négociations à éclipses dureront jusqu'à la paix de 1626 et buteront longtemps sur le cas de La Rochelle (le Poitou, l'Aunis et la Saintonge protestants étant l'autre théâtre des opérations en partie maritimes dont est chargé Benjamin de Soubise, frère de Rohan).
(2) Après une assemblée qui le confirme comme général des armées réformées du Haut Languedoc à Castres début juin, Rohan est parti pour Millau puis Anduze. Il y reste jusqu'à la fin juillet pour d'un côté contenir les attaques royales venues de Montpellier (combat de Sommières les 5 et 6 juillet), de l'autre tenter de faire passer dans son camp les grosses villes protestantes de Nîmes, Alès et Uzès qui lui résistent.
(3) Parti de Toulouse le 18 juin, Thémines rassemble son armée à Lautrec pour aller ensuite ravager les environs de Castres.
(4) Marguerite de Béthune (1595-1660), fille de Sully (alors toujours actif et retiré en Quercy) et que Rohan avait épousé en 1605. Selon Madiane, bien qu'opposée à la reprise de la guerre, elle joue un rôle décisif à Castres pendant l'absence de son mari, en particulier lors d'une attaque de Thémines vers le 25 juin.
(5) Prise de Saint-Paul-Cap de Joux sur l'Agout (assiégé depuis le 11) le 15 juillet, capitulation de la cité voisine de Damiatte le 16.
(6) Revenu des Cévennes à la fin juillet, Rohan se retranche à Viane où a lieu une bataille indécise et meurtrière entre les deux armées le 31, à la suite de laquelle l'armée de Thémines repart à Lavaur et celle de Rohan rejoint Castres.
(7) L'armée de Thémines part pour le Pays de Foix après la mi-août, attaque et prend Calmont le 24 (le 21 selon Delescazes).
Combat de Jean-Bonet
Dans cet endroit, je ne saurais m’empêcher de rapporter une action d’un soldat qui avait été domestique de Dusson, nommé Jean du Teil (1), que j’ai souvent ouï conter à lui-même, et qui est d’une valeur si éclatante qu’elle mérite une gloire immortelle. Depuis Calmont jusques au Mas (2), rien n’arrêta le Maréchal, qu’une méchante maison près du Carla nommée Jean-Bonet (3), qui était à Jean du Teil, où il s’était enfermé avec deux de ses frères, et quatre cousins germains, et où ils résolurent d’attendre la mort, qu’ils y rencontrèrent bientôt. Ils firent d’abord une si vigoureuse résistance, qu’ils arrêtèrent toute l’armée pendant deux jours entiers, et tuèrent plus de cinquante hommes en plusieurs sorties qu’ils firent. Mais enfin, voyant approcher le canon, et ne tenant plus contre la force, ils voulurent tenter un moyen de se sauver la nuit: celui qui sortit pour aller reconnaître l’endroit par où ils pourraient passer sans danger, en revenant faire son rapport, reçut un coup de mousquet à la cuisse par son propre frère, qui était en sentinelle, et qui l’avait pris pour un des ennemis. Il ne laissa pas de se traîner jusques à la maison, où il enseigna aux autres l’endroit par où ils pouvaient se sauver sans être aperçus de personne, et les exhorta de sortir le plus tôt qu’ils pourraient, et de le laisser seul exposé à la rage des soldats et à la colère du Général. Son frère fut si touché d’une résolution si héroïque, qu’il ne voulut point le quitter, et lui dit qu’il l’accompagnerait jusqu’au tombeau, puisque c’était lui qui l’y avait précipité. Jean du Teil voulut suivre leur fortune pour avoir part à leur gloire, et aima mieux mourir avec ses frères que de jouir honteusement d’une vie qu’il ne pouvait devoir qu’à la fuite. Les quatre cousins ne purent résister à des exemples d’un si grand courage, ils refusent de se sauver et veulent être les compagnons de leur mort comme ils l’ont été de leur valeur. Ils résolurent tous ensemble d’ouvrir la porte le matin à la pointe du jour et de ne la défendre plus que l’épée à la main. Dès que le jour parut, les ennemis se jetèrent sur eux: ils les attendirent et les reçurent avec un courage qui les étonna, et qui les fit douter longtemps s’ils en pourraient venir à bout ; mais enfin, après une longue résistance, ils succombèrent au nombre et à la force, et reçurent une mort qui doit rendre leur nom célèbre à la postérité.
(1) Les Mémoires sont le premier texte sur le siège du Mas à donner le nom de Jean du Teil (peut-être Dutilh, nom attesté à Sabarat à cette période), à préciser qu'il était un homme de Dusson et que Jean-Bonet était sa maison, ce qui serait à vérifier. Par rapport au récit que l'on trouve à peu près sous la même forme aussi bien dans les rapports immédiats que sont le Siège du Mas d'Azil de Saint-Blancard et les Mémoires de ce qui s'est passé en cette guerre (qui serviront ensuite aux Mémoires de Rohan) que dans l'Histoire de Gramond, il y a deux principales différences: la famille tue «plus de quarante» soldats royaux chez Saint-Blancard et Rohan, «plus de cinquante» ici; les 4 cousins ne participent pas au combat final chez Saint-Blancard, Rohan et Gramond (on ne voit pas autrement qui aurait pu conter l'épisode des deux frères et le débat décisif entre les sept), ils se font tuer avec les autres chez Dusson, chez qui il y a donc un effet d'exagération littéraire. Gramond a la particularité de préciser que Thémines (dont il souligne ici encore l'emportement et le manque de mesure) fait pendre les 3 frères. À noter que le très bref récit du Mercure (version de Thémines ?), publié l'année suivante, contredit le tout: «Cependant, le sieur de Castagnac tenait assiégé le fort de Jean-Bonet près du Carla, avec la compagnie du comte de Carmaing et le régiment de Crussol. Il perdit cinq soldats aux approches, avec La Serre, lieutenant audit régiment. La nuit ensuivant, les rebelles s’enfuirent et abandonnèrent ce fort». Et que le Récit véritable, publié presque immédiatement à Paris, semble indiquer qu'il y a eu au moins deux autres combats de ce type: Thémines «étant parti dudit Sainct Ybars avec l'armée, il commence à prendre trois forts auprès de la ville du Carla appelés de Bonnet, les Fustres et Cavales, qui furent en même temps brûlés et eux dedans pendus ou tués».
(2) Selon les autres récits, après Calmont, Thémines a stationné un temps son armée à Cintegabelle le temps de décider de son prochain objectif. Il renonce à attaquer Mazères et Pamiers et prend la direction du Mas d'Azil par Saint-Ybars vers la fin du mois, peut-être parce que la petite cité paraît plus facile à prendre avant l'automne et qu'elle dispose d'une bonne réserve de salpêtre. Pendant ce temps, Carmaing rassemblait des troupes locales et des armes à Foix pour renforcer l'armée royale apparemment touchée par des désertions et des difficultés de recrutement (d'où un arrêté du Parlement de Toulouse le 27 août pour obliger les nobles locaux à la rejoindre).
(3) Les Mémoires écrivent Chambonnet, la prononciation occitane étant Jammbounètt. Ferme isolée dominant le chemin allant du Fossat au Carla.
Rohan fait appel à Dusson
Le Maréchal, en suite de cette expédition, passa jusques aux Bordes. Brétigny (1), qui était gouverneur du Pays de Foix, avertit le duc de Rohan que le Mas allait être assiégé, que la place était faible par sa situation, et qu’il ne pouvait la conserver que par le nombre de soldats ; ainsi, qu’il le priait de faire un effort. Le duc envoya Valescure à Pamiers (2) avec trois cents hommes, dont Saint-Blancard (3) prit la conduite jusque dans le Mas, comme nous verrons pendant le siège. Mais comme cela n’était pas suffisant, et que le Mas était fort pressé, il fallut y envoyer d’autres. La difficulté était grande, et l’entreprise périlleuse: la ville était bloquée, la circonvallation faite, et avant de se jeter dans la place, il fallait traverser des montagnes inaccessibles, forcer les lignes de l’ennemi, passer au travers de l’armée, combattre des corps de garde avancés, et passer une rivière à gué. Le duc de Rohan jeta d’abord les yeux sur Dusson, comme sur un brave soldat qu’il connaissait très propre par sa valeur et par sa conduite à surmonter tous les obstacles qui s’opposaient à ce dessein: il lui en fit faire la proposition, qui le surprit d’abord, car il voulait se conserver fidèle jusqu’au bout, et ne voulait jamais se trouver les armes à la main contre son Roi. Mais il n’y avait que très peu de temps qu’il était marié avec une femme qu’il aimait, et en qui la nature avait assemblé une grande beauté avec beaucoup de vertu. Ainsi, quand il vint à penser qu’il s’agissait de secourir Le Mas, qui était le lieu de sa naissance et où sa femme était enfermée, l’image de ses maisons brûlées, son bien pillé, sa femme violée, ses amis massacrés, le sang de ses proches couler dans les rues, et enfin sa patrie saccagée, lui vint en un même moment dans l’esprit, et souleva au fond de son cœur des sentiments si tendres qu’il fallut céder à la nature. Il résolut dans cette occasion de sacrifier les devoirs de la naissance aux devoirs du sang. Il accepta cet emploi et alla remercier le duc, qui lui donna un ordre pour aller prendre trois cents hommes du régiment de Lèques (4), qui était à Mazères. Mais pendant qu’il est en chemin, voyons la disposition du siège et la situation de la place, pour mieux comprendre toute la gloire de l’action, par les difficultés qui se rencontrèrent à l’exécuter.
(1) Selon les Mémoires de Madiane, Brétigny a fait partie des trois émissaires envoyés par Soubise à son frère l'automne 1624 pour le convaincre de reprendre les armes: La Miletière, Le Verger-Malaquet puis «Brétigni-Dangeau, considérable par sa naissance, sa maison étant une des premières de la Beauce. Il avait beaucoup d'esprit et de cœur et porté d'un zèle inconsidéré pour son parti, qui, ayant été infecté par La Miletière, agit envers le duc avec plus d'emportement que les deux premiers et souvent envers la duchesse au delà de la raison et du respect, s'imaginant qu'elle le faisait s'obstiner. Perdant espérance de réussir, il se résout de n'abandonner point le duc mais d'envoyer son valet de chambre à M. de Soubise pour lui faire savoir qu'il ne fallait rien espérer s'il ne venait en personne avec les deux autres sur prétexte de visite» (p.79). Rohan le met ensuite à la tête de ses troupes du Pays de Foix, ce qui provoque la dissidence (dans la dissidence) du baron de Léran qui tient Le Carla. Une notice sur La famille de Courcillon de Dangeau dans le Bulletin de la SHPF en 1856 par Lucien Merlet (mai-juin-juillet, pp.72-78, immédiatement avant Le capitaine Dusson de Napoléon Peyrat) montre qu'il s'agit de Josias de Courcillon, seigneur de Brétigny-Dangeau, fils et petit-fils de capitaine huguenot du Maine. Publié dans cette notice, un arrêt de la Cour des aides de Montpellier du 6 février 1627 (où Brétigny réclame le paiement de la somme de 4666 livres «à lui due pour ses appointements de gouverneur du Colloque de Foix pour neuf mois et dix jours» au syndic de ce colloque Marcial Dhonnous) permet de dater précisément son gouvernorat: commission du duc de Rohan le 4 juin 1625, approbation de l'assemblée du Colloque le 17 juin pour des appointements de 500 livres par mois (300 «comme gouverneur» et 200 «comme capitaine d'une compagnie de gendarmes»). Cité également par cette notice, un passeport de l'infante Claire Eugénie «pour se rendre de Bruxelles en Espagne avec deux valets et deux malles de bois» en 1623 semble indiquer que Brétigny a aussi joué un rôle dans les négociations secrètes entre Rohan et Madrid. Selon les Mémoires de Rohan, Brétigny sera tué lors de l'attaque de Montpellier en 1627, trompé par les assurances que lui aurait donné son beau-frère, capitaine dans le régiment de Normandie qui tenait la place et se serait dit prêt à la lui ouvrir. Son frère Jonathan aurait été tué avec lui à Montpellier selon Merlet. Son frère aîné Louis avait épousé une petite-fille de Duplessis-Mornay et leur aîné, Philippe de Courcillon-Dangeau (1638-1720) se convertira peu après la mort de son père au catholicisme, ce qui lui permettra de devenir très proche de Louis XIV et l'auteur du fameux Journal de Dangeau qui relate au plus près la vie du monarque à partir de 1684. Leur cadet Louis (1643-1723), lui aussi converti, deviendra l'abbé de Dangeau, grammairien et membre de l'Académie française comme son frère.
(2) Les Mémoires écrivent systématiquement Pamies, qui rappelle le nom occitan de la ville: Pamias (à prononcer Pamioss). Valescure est signalé à la tête d'une compagnie au siège de Montpellier en 1622. Rohan lui a confié un régiment cévenol en juin 1625.
(3) Jacques de Gaultier, sieur de Saint-Blancard, était originaire d'Aigues-Mortes. Après avoir eu la responsabilité de la petite flotte protestante en Méditerranée comme «amiral du Levant» lors de la campagne de 1620-1622, Rohan lui a confié un régiment cévenol en juin 1625 (d'où son récit manuscrit du combat de Sommières début juillet) puis l'a envoyé de Castres au secours du Pays de Foix fin août. Saint-Blancard est l'auteur d'un récit manuscrit du Siège du Mas d'Azil (reprenant sans doute en partie des notations des capitaines tenant la place avant son arrivée le 9 octobre) qui est la principale source de renseignements sur cet événement, mais qui mentionne peu Dusson, peut-être en partie parce que, rédigé juste après, il ne voulait pas mettre trop en avant le rôle d'un officier qui souhaitait réintégrer l'armée royale. Chargé ensuite d'une mission en Angleterre avec Soubise, Saint-Blancard sera tué en 1627 lors de l'attaque de l'île de Ré.
(4) Henri de Chaumont, baron de Lèques (ou Lecques) servit Rohan jusqu'à la paix d'Alès en 1629 puis intégra son régiment cévenol à l'armée royale, avec lequel il combattit en Savoie en 1630, en Languedoc en 1632 (contre Montmorency), en Italie de 1635 à 1639 (de nouveau sous Rohan au début) puis en Roussillon en 1639-1640 et en Flandre.
Situation du Mas d'Azil
Le Mas d'Azil est situé dans un vallon, de tous côtés également entouré d’une colline qui n’est séparée en aucun endroit. L’on ne voit ni l’entrée ni l’issue d’une rivière dont l’eau vive coule entre des rochers dans un agréable canal, et baigne les murailles de la ville. À la voir serpenter dans la plaine, on dirait que la nature l’a fait naître et mourir dans le même vallon, où son cours n’a qu’un quart de lieue d’étendue. Du côté de son avenue, la montagne s’ouvre de deux côtés par le bas et forme une grande grotte, dont la voûte exhaussée et soutenue par des piliers de roche vive, où le hasard semble avoir pris plaisir de faire mille figures bizarres, fait un des plus agréables spectacles du monde. Cette petite rivière traverse la montagne par cette grotte et entre dans la plaine du Mas, d’où après avoir arrosé les prés et ses jardins, elle s’épanche entre deux petits coteaux, qui sont si près l’un de l’autre, et d’une hauteur si égale, qu’il semble qu’il n’y ait point de séparation. Le paysage est divers: une partie de ces collines qui entourent la ville en amphithéâtre est cultivée jusques au sommet par des vignes, une autre découvre la roche toute nue et extrêmement coupée, et l’autre est couverte de bois. Il semble que ce lieu ainsi fermé de tous côtés par les montagnes soit inaccessible au canon, cependant le maréchal trouva le moyen d’y en faire traîner quatorze pièces (1).
(1) Les Mémoires sont le récit qui donne le plus de canons à Thémines puisque Saint-Blancard (et Rohan à sa suite) lui en donne 9: 7 gros et 2 moyens. Quelques lignes plus bas chez Dusson, ce total de 14 passe à 16 (8 gros et 8 moyens). Il y a clairement une volonté du récit d'accentuer le contraste entre assiégeants et assiégés.
Incendie des Bordes
Après l’expédition de Jean-Bonet, il vint comme nous avons dit droit aux Bordes, où il voulait établir les magasins pour la commodité de son armée. Mais le duc avait envoyé ordre à Amboix (1), qui commandait dans Les Bordes, de brûler Les Bordes, Sabarat et Camarade, afin que le Maréchal ne se prévalût pas du pillage de ces trois bourgs, qui étaient habités par des gens riches et dont les dépouilles n’auraient pas peu contribué à faire subsister son armée. Dès que l’armée parut, Amboix, homme de mérite et d’expérience, envoya un tambour au Maréchal pour lui demander de pouvoir l’entretenir, et après qu’il en eut la permission, il alla au-devant de lui pour lui dire que tous ceux qui étaient enfermés dans Les Bordes étaient de fidèles sujets du Roi, qu’ils voulaient vivre et mourir dans son service, mais que craignant l’insolence des soldats, ils le suppliaient de passer sans entrer dans la ville. Le Maréchal lui répondit que ce n’était pas à eux à avoir aucune volonté devant une armée, contre laquelle ils n’avaient rien à opposer que leurs larmes, qu’ils devaient commencer par obéir et par lui ouvrir les portes, et qu’ensuite c’était à lui à leur faire le traitement qu’il jugerait qu’ils auraient mérité. Amboix, n’ayant point de réponse plus favorable, demanda du temps pour savoir le sentiment de ceux des Bordes. Le Maréchal, qui craignit ce qui lui arriva dans les suites, se voulut précautionner et, en laissant partir Amboix, lui demanda des otages. Il lui laissa le ministre (2) et deux bourgeois qui étaient venus avec lui; il leur arriva un malheur dont ils se tirèrent par une espèce de miracle, et qui mérite d’être rapporté.
Amboix, qui avait dessein d’exécuter les ordres du duc et qui voyait que les habitants de la ville voulaient laisser entrer le Maréchal (et qu’ils aimaient mieux hasarder le traitement qu’il leur devait faire que de laisser brûler leurs maisons), en arrivant dans la ville ne leur parla que des menaces du Maréchal, et des supplices qu’il leur préparait. Il leur dit entre autres choses qu’il faisait suivre un chariot chargé de chaînes pour les mettre aux fers. Tout cela ne les fit point changer de résolution : ils ne pouvaient point se résoudre à mettre eux-mêmes le feu dans leurs maisons, ils aimaient mieux les abandonner au pillage et à l’insolence des gens de guerre que d’être eux-mêmes les tristes instruments de leur ruine. Amboix, ne pouvant les gagner, leur promit d’aller rendre réponse au maréchal seulement pour les amuser, car il donna ordre secrètement à des soldats qui étaient à lui d’aller mettre le feu à la ville par six endroits différents, et cependant il envoya dire au Maréchal qu’on lui ouvrirait les portes le lendemain et que les habitants lui voulaient témoigner leur obéissance en s’abandonnant pleinement à sa compassion. Les soldats, dans l’ardeur d’exécuter les ordres de leur capitaine, mirent le feu à la ville à l’heure où tout le monde est retiré chez soi.
Le lendemain matin, l’on vint dire au Maréchal que la ville était en feu: la première pensée fut que c’était l’ouvrage du hasard, mais quand il vit que le feu continuait et qu’il suivait toutes les maisons de la ville, il jugea bien qu’il avait été trompé. Dans la chaleur de son ressentiment, il donna ordre d’abord de pendre le ministre et les deux bourgeois qui étaient restés pour otages. Mais il y eut auprès de lui des gens qui, touchés d’une juste compassion de leur malheur, lui représentèrent que c’étaient des victimes innocentes qui avaient été sacrifiées par le commandant de la place, et qu’il n’y avait point de plus grande marque de leur innocence que le malheur même où ils étaient. Car il n’y avait point d’apparence que s’ils eussent eu quelque connaissance du dessein qu’on avait de les tromper, ils se fussent eux-mêmes venus jeter dans le triste état où ils se trouvaient présentement. Il se laissa persuader et donna ordre qu’on les fît sauver. Après que Les Bordes fut brûlé, Sabarat suivit son exemple, et tous les habitants de ces deux places se jetèrent dans Le Mas avec tout ce qu’ils purent emporter de provisions (3). Ce secours releva le courage de ceux du Mas, et leur fit prendre la résolution de se défendre jusques à la dernière goutte de leur sang.
(1) Ce capitaine d'Amboix (la plupart du temps orthographie Damboix et prononcé à l'occitane: Dambouich) est un enfant du Mas où ses descendants ont habité jusqu'à la fin du 20e siècle la maison d'Amboix dans la grande rue à côté de l'église.
(2) C'est à dire le pasteur. À la différence de Saint-Blancard, les Mémoires ne donnent pas son nom: Moynier. Selon Saint-Blancard, Thémines fit demander aux assiégés le 8 octobre s'ils souhaitaient faire sortir la femme de ce pasteur (qui avait donc suivi les habitants des Bordes au Mas) à condition qu'elle se retire «à un lieu papiste». Ce à quoi les capitaines protestants tenant la cité «dirent qu'il ne fallait point de réponse à cela».
(3) Ce récit très circonstancié de ce qui s'est passé aux Bordes donne beaucoup de renseignements de l'intérieur mais passe sous silence tout ce qui pourrait montrer une implication des habitants dans la résistance (qui semble uniquement pilotée par Damboix sur ordre de Rohan), comme par exemple le combat des Bourrets juste avant. D'où l'atmosphère différente que donne le Récit véritable, lui tout extérieur et peu soucieux de politique locale puisqu'il montre une véritable petite bataille sous les murs de la cité, où Thémines manque d'être blessé. Un petit boulet retrouvé aux alentours de la Serre de Marveille pourrait en être un témoignage.
Thémines investit Le Mas d'Azil
Le Maréchal, après avoir été trompé par ceux des Bordes, ne songea plus qu’à continuer sa marche contre Le Mas. Il s’avança pour reconnaître la place. Et du haut d’une montagne, à la portée du canon, il reconnut tout d’une vue la situation de la place et les dispositions des environs, de la manière que nous venons de les décrire. Il vit un lieu commandé de tous côtés, et qui ne pouvait être défendu que par la résolution de ceux qui y étaient dedans. Il conçut d’abord des grandes espérances de le prendre, jusque là qu’il promit au comte de Carmaing (1), qui était auprès de lui, de lui donner à souper le lendemain au soir dedans la place. Il fit ensuite avancer les troupes et les mit en haie tout le long de la colline pour faire montre des enseignes et faire briller les armes aux yeux des assiégés. Il avait sept mille hommes de pied et six cents chevaux de troupes réglées, et le comte de Carmaing lui avait emmené de son gouvernement six à sept mille hommes de milice, si bien que son armée était composée en tout de quinze mille hommes (2). Les collines dont Le Mas est environné étaient toutes couvertes de soldats, et le nombre en paraissait beaucoup plus grand par l’artifice dont le Maréchal les avait disposés: si bien que par les apparences, ce devait être un spectacle horrible pour les assiégés que de se voir environnés de tous côtés de gens armés pour les venir attaquer chez eux. Mais cela ne les étonna point, et ne fit qu’animer leur courage. Après que le maréchal eût assez fait voir ses forces, il désigna ses quartiers, il prit le lieu dans les vignes avec les régiments de Normandie, Crussol, Ventadour, Toulouse, Vaillac, Aiguebonne et la Milice. Il envoya le régiment de Mirepoix au quartier de La Quère, le régiment de Foix à Brusquète, et le régiment de Vaillac entre Brusquète et La Quère pour garder l’avenue qui est le long de la rivière (3).
Après qu’il eût ainsi bloqué Le Mas, il fit mettre son canon en batterie, il avait huit pièces de 48 et huit de 36 (4). Au milieu du penchant, il y a un petit endroit relevé à une portée de mousquet des remparts, qui forme un espace assez grand pour mettre à couvert quinze ou vingt pièces de canon: ce fut là où il fit venir le sien et où il le fit monter, le jeudi onzième de septembre 1625, pour battre la ville par l’endroit le plus faible. Ce côté était défendu par deux grands bastions, dont l’un mettait à couvert la ville du côté du pont, et l’autre du côté du moulin, mais la courtine qui était entre deux n’était qu’une vieille muraille qui n’était point terrassée: un grand fossé sans eau séparait la muraille d’une demi-lune qui s’étendait jusques à la rivière que l’on pouvait passer à gué partout en cet endroit. Le lendemain qu’il eût monté son canon, il le fit tirer tout le jour contre la courtine, dont il abattit sept ou huit cannes (5): mais cela ne fit que rendre cet endroit plus fort, car la brèche fut réparée par des fascines et des tonneaux de terre avec une diligence incroyable. Les femmes portaient de la terre et s’exposaient avec autant de courage que les hommes. Les jours suivants, l’effet du canon fut réparé avec la même vigueur, jusques à ce que Saint-Blancard entrât dans la ville avec un secours de trois cents hommes (6). Lorsqu’ils eurent ce renfort, ils commencèrent à s’exposer davantage et à tirer incessamment contre les batteries, où ils incommodaient beaucoup les canonniers avec la mousqueterie, et rendaient l’effet du canon plus lent. Ils firent même plusieurs sorties où ils perdirent beaucoup de leurs meilleurs soldats. La place ne pouvait être affaiblie que par cet endroit, car ils avaient des munitions de bouche et des munitions de guerre pour tenir jusques à la rigueur de l’hiver, et la meilleure volonté du monde de se laisser forcer plutôt que de se rendre.
(1) Adrien de Monluc, comte de Carmaing (les Mémoires écrivent Caramain, aujourd'hui Caraman), petit-fils du maréchal de Monluc et gouverneur du Comté de Foix pour le Roi. Grand seigneur savant et tolérant, il a protégé l'athée Vanini (brûlé à Toulouse en 1618) et est l'ami du fameux poète occitan Godolin dont il finance les deux premiers recueils du Ramelet Mondin. Basé à Foix et Toulouse, il participe à l'armée de Thémines à partir de juin et est envoyé en août préparer la campagne en Pays de Foix. D'autres récits de première main (Mercure, Gramond, Delescazes) insistent sur les divergences dans l'état-major à propos des opérations au Mas, a priori entre Carmaing et Thémines. Voir le portrait attachant qu'en fait Tallemant des Réaux (qui l'appelle lui Cramail) dans ses Historiettes.
(2) Comme pour les canons, en plus d'être tardive, l'estimation semble maximale mais est reprise par les récits ultérieurs. Saint-Blancard ne donne pas de chiffre global (il liste le nombre de compagnies d'infanterie et de cavalerie), Gramond donne 7000 hommes d'infanterie et 600 cavaliers tout comme Rohan (qui s'appuie sur Saint-Blancard et les Mémoires de ce qui s'est passé en cette guerre, tous deux sans doute rédigés à la fin de la campagne).
(3) Rive gauche, les vignes désigne les pentes dominant l'Arize à l'ouest, Brusquète surplombe au nord la route de Sabarat (au-dessus de l'actuel cimetière). Rive droite, La Quère borde la ville à l'est. La cavalerie devait être dans les prairies le long de l'Arize vers Castagnès. L'armée de Thémines était composée d'un gros régiment professionnel royal (Normandie) et de 12 régiments plus ou moins gros et récemment levés: 8 en Languedoc (Ventadour, Crussol, Annonay, Mirepoix, Aiguebonne, Vaillac) dont 2 à Toulouse (Toulouse financé par les Capitouls et Duclos financé par le Parlement) et 4 en Pays de Foix (Anseignan, Durban, Maillac, Lapasse-Moulin). Plus une dizaine de compagnies de cavalerie à recrutement varié. La liste donnée par Dusson n'est visiblement pas aussi complète que celle donnée par Saint-Blancard. La marquis de Ragny (venu au printemps depuis la vallée de Rhône avec les régiments de Normandie, d'Annonay et d'Aiguebonne, originellement destinés à la campagne de Lesdiguières en Italie) et le comte de Carmaing étaient les deux maréchaux de camp.
(4) C'est à dire tirant des boulets de 48 (plus de 23 kilos, soit un diamètre d'environ 23 centimètres) et 36 livres (presque 18 kilos, soit un diamètre d'un peu plus de 17 centimètres).
(5) Soit 13 à 14 mètres.
(6) Saint-Blancard date cette hardie entrée en force (par la route de Sabarat) du 9 octobre, soit 3 jours avant l'assaut général de Thémines contre Le Mas. Il écrit être venu de Pamiers à travers champs par Madières et Pailhès. Il justifie son arrivée (en plus du renfort nécessaire) par les désaccords dans la direction militaire au Mas qui était au moins quadricéphale à ce moment-là: Damboix et Larboust présents depuis le début du siège, Valette arrivé le 21 et Dusson le 24. Même s'il ne fait (en bon militaire) que des éloges sur ses 4 collègues.
Dusson entre au Mas
Le Mas était dans cet état lorsque Dusson arriva au Carla, d’où il fit savoir à Saint-Blancard qu’il allait le secourir, et lui donna les signaux auxquels il devait être connu. La nuit qu’il devait entrer, le gouverneur du Carla était brouillé avec Brétigny, sur le sujet du gouverneur de la province, et tâchait d’empêcher le secours du Mas pour en faire tomber la faute sur la conduite de son concurrent. Lorsque Dusson voulut assembler ses soldats pour sortir, le gouverneur s’y opposa. Mais Dusson qui avait un ordre secret de ne reconnaître personne et de passer partout sur son passeport, lui répondit si fièrement et avec tant d’autorité que le gouverneur fut obligé de le laisser sortir (1). Il prit son chemin entre Daumazan et Campagne, et monta par Montfa, d’où il passa derrière le camp des ennemis sans avoir aucune rencontre fâcheuse. Mais lorsqu’il fut arrivé au haut de la montagne (et que les guides lui eurent dit que tous les passages étaient occupés et qu’il n’y avait qu’un seul endroit que les ennemis ne gardaient point – parce qu’ils le croyaient assez défendu par la nature – par où il fallait descendre), les soldats, qui avaient paru fort résolus jusque-là, commencèrent à envisager la grandeur du péril où ils s’étaient engagés. Il fallait descendre entre deux rochers escarpés qui, par un précipice affreux, les conduisait ou plutôt les faisait rouler dans la rivière, vers l’endroit d’où elle sort de la grotte dont nous avons déjà parlé. Ils savaient encore qu’après avoir échappé à tous ces dangers, il fallait forcer un passage où les ennemis s’étaient fortifiés. Toutes ces difficultés abattirent beaucoup leur ardeur et firent paraître un grand relâchement sur leur visage. Lorsque Dusson se fut aperçu du désordre où ils étaient, il les anima par son exemple et par la gaîté qu’il fit paraître sur son visage, et tâcha de réchauffer leur courage abattu par ces paroles:
«Compagnons, connaissant votre valeur et votre zèle comme je le connais, je ne vous engagerai point dans l’action que nous allons faire par la facilité que nous trouverons à l’exécuter. Je sais que j’animerai bien plus vos courages en vous représentant tous les dangers auxquels nous allons être exposés. Vous cherchez le péril parce que vous aimez la gloire. Nous avons une puissante armée à traverser, des lignes à forcer, des montagnes inaccessibles et une rivière à passer. Mais de quoi ne sont point capables des courages qui vont combattre pour la foi ? Quelle gloire ne mériterez-vous pas lorsqu’après avoir surmonté tous ces périls, par votre valeur, vous vous trouverez dans la place, chargés des louanges et des bénédictions des enfants, des femmes et des vieillards, à qui vous aurez rendu les biens, l’honneur et la vie ? Les veuves et les orphelins vous viendront saluer comme leurs maris et leurs pères. Le temple, que vous allez sauver d’un embrasement inévitable, ne retentira que de la gloire de votre action. Les bourgeois et les soldats viendront également reconnaître qu’ils ne doivent leur honneur et leur fortune qu’à votre bras. Méprisons donc tous les dangers qui se trouvent dans notre entreprise, faisons-nous un passage à travers tant d’obstacles, par l’ardeur de notre courage plutôt que par la force de nos armes. Mes compagnons, secourons aujourd’hui nos camarades, ou mourons glorieusement avec eux !».
Il n’eut pas plus tôt prononcé ces mots avec toute la chaleur dont il était animé, qu’il vit d’abord ce que peut sur les cœurs la vigueur et l’exemple d’un homme de résolution. Ils lui témoignèrent tous dans ce moment l’impatience et l’ardeur dont ils brûlaient pour se jeter dans la ville. Après qu’il les eût ainsi rassurés, il jeta ses signaux, prit le guide avec lui, et commença à descendre le premier dans un endroit où ils ne pouvaient passer que l’un après l’autre. Le passage était rude, le rocher coupé en plusieurs endroits. Il fallait souvent se laisser tomber au lieu de descendre: ils faisaient autant de chutes que de pas et c’était bien moins un chemin qu’un précipice. Cependant il se trouva fort heureusement au bord de la rivière, sans avoir perdu qu’un seul homme qui s’était rompu le col en descendant. Il les fit marcher au bas de la montagne le long de la rivière, jusques à un pré où il trouva un grand fossé qui était gardé par un corps de garde des ennemis. Il descend dans le fossé l’épée à la main, chasse les ennemis et entre dans le pré, d’où il vint jusques au bord de la même rivière qu’il fallut passer à gué pour se jeter dans le guichet d’une porte, qui était entre le moulin et le grand bastion. Là, il fut reçu par un corps de garde avancé, où il fut reconnu. Il fit entrer tous ses soldats et voulut rester le dernier. Dès qu’il fut dans la ville, la joie publique et les applaudissements que tous donnaient à son action ne lui firent point oublier qu’il en devait toute la gloire à Dieu. Il commença par entrer au temple pour le remercier d’avoir donné à son entreprise un aussi heureux succès. Saint-Blancard (2), pour reconnaître le service qu’il venait de rendre à la place, lui donna le poste le plus honorable et lui fit garder la brèche avec les soldats qu’il avait menés. Il arriva si à propos que le canon tirant continuellement depuis quelque temps contre la même courtine, il ne se trouvait plus de monde pour réparer l’effet qu’il faisait, les uns tués, les autres blessés, plusieurs rebutés par la fatigue et par le péril. La place était dans un extrême désordre et, sans ce secours, elle n’aurait pu tenir contre le moindre assaut.
(1) Saint-Blancard donne plus de précisions (mais de façon assez confuse) sur ce passage compliqué au Carla, lié aussi selon lui aux difficultés de commandement au Mas: ce qui a poussé Brétigny à envoyer pour diriger la place d'abord Auros (autre capitaine local) qui a dû aussitôt repartir car Damboix et Larboust ne voulaient pas le recevoir. C'est alors que «Dusson (principal habitant du Mas) persuada au capitaine Valette (sergent-major de Fretton et brave homme) d'y aller avec lui, et qu'il ferait qu'il y serait reconnu». Les deux hommes partent de Pamiers avec une petite troupe jusqu'au Carla, où «ils eurent de la peine d'être reçus, le baron de Léran se méfiant de tout ce qui venait de Pamiers» à cause de son conflit avec Brétigny. Il semble que Rohan («sage médecin de ce mal») ait alors pris les choses en main depuis Castres et dépêché deux envoyés (Villemur et le même Auros) pour faire plier Léran par un compromis qui fait «que le baron promet (néanmoins assez incertainement) de recevoir des gens pour le secours du Mas». Valette part alors en éclaireur du Carla, entre au Mas la nuit du 21 septembre et, s'il n'obtient pas au Mas le rôle dirigeant voulu, Damboix et Larboust «se l'associèrent pour commander tous trois ensemble». Dusson partira lui avec le reste de la troupe et rentrera au Mas la nuit du 24. Si le compromis avec Léran évoqué par Saint-Blancard semble être un titre nominal de gouverneur «et quelques autres petits dédommagements qui étaient de ses intérêts», la deuxième édition des Mémoires de Rohan en 1646 (basée ici sur le manuscrit des Mémoires de ce qui s'est passé en cette guerre vers 1625-1626, ce passage ayant été coupé dans la première édition de 1644) décrit l'affaire de façon plus politique: «La division du baron de Léran avec Brétigny donnait du souci au duc de Rohan pour ce qu'étant maître du Carla (qui n'était qu'à une lieue du Mas), il en pouvait faciliter le secours ou l'empêcher». Rohan envoie alors Villemur et Auros «pour lui remontrer le tort qu'il se faisait d'empêcher le secours du Mas d'Azil en refusant de recevoir ses troupes au Carla, avec charge que si ledit baron ne se mettait à la raison, ils donnassent connaissance de leur charge au peuple du Carla. Ce qui fut ménagé si dextrement que ledit baron fut contraint par les habitants de recevoir les commission dudit duc et tous les gens de guerre qui viendraient par son ordre, ce qui servit de beaucoup à la subsistance du Mas». Celai ressemble à une opération typique pendant les guerres de Rohan d'appel des militaires au peuple contre des élites partisanes de la soumission au Roi.
(2) La présence de Saint-Blancard au Mas lors de l'entrée de Dusson ne s'accorde pas du tout avec le récit manuscrit (et donc difficilement accessible au rédacteur des Mémoires de Dusson) de l'officier languedocien. Selon celui-ci, qui écrit être arrivé le 9 octobre, Dusson est rentré lui au Mas deux semaines plus tôt, la nuit du 24 septembre «avec la compagnie du capitaine Valette et les soldats de Cavé. Ne firent aucune mauvaise rencontre que tout contre la ville du corps de garde qui avait donné entrée le soir précédent aux soldats qui étaient entrés. Le dit corps de garde lâcha incontinent, de sorte qu'il ne se perdit personne de part ni d'autre, fors d'un soldat qui s'égara». La nuit du 23, selon Saint-Blancard, «sept braves soldats» étaient déjà rentrés dans le Mas en se heurtant à ce nouveau corps de garde des assiégeants entre l'Arize et les vignes, placé là après une sortie nocturne le 22 vers la batterie des assiégeants. Saint-Blancard signale trois jours de grosses pluies à partir du 23 qui ont pu faciliter cette entrée. Par ailleurs, Saint-Blancard signale le 27 septembre que «le baron de Saint Rémy envoya un tambour vers la ville, désirant de parler à Dusson de la part du Maréchal, et demanda trêves à ces fins, qui durèrent un quart d'heure. Et ne fut permis à Saint Rémy de parler que de la tranchée en hors, et à l'autre du travail. Ils furent interrompus par les soldats qui tirèrent d'un côté et d'autre par deux fois, et même la dernière fois l'ennemi tira trois ou quatre coups de canon à l'endroit où parlait Dusson, qui ne firent pourtant nul effet». Cette scène étrange semble indiquer que Thémines souhaite comprendre pourquoi Dusson a brusquement pris parti pour Rohan (et lui proposer un accommodement ?).
Assaut du 12 octobre
Le Maréchal n’eut pas plus tôt appris que ce secours était entré qu’il fit redoubler le feu du canon pour rendre la brèche plus grande et pour donner un assaut général, voyant qu’après ce secours la place ne pouvait plus être prise qu’en étant forcée. Il fit tirer deux mille coups de canon dans trois jours (1). Le comte de Carmaing (qui savait que la plus brave noblesse de son gouvernement était renfermée dans la place et qui ne jugeait pas que la brèche fût assez grande) n’était pas du sentiment du maréchal et ne voulait pas qu’on tentât si tôt un dernier effort (2). Mais le maréchal ne suivit pas son sentiment et envoya reconnaître la brèche en plein jour par un officier armé de toutes pièces, qui fut jusques au bord du fossé sans que personne tirât sur lui. Les assiégés n’étaient pas fâchés qu’il vît qu’ils étaient en état de se défendre encore fort longtemps, mais cela fit un effet tout contraire car cet officier rapporta que la brèche était fort considérable et que les assiégés étaient dans une si grande consternation que personne n’avait eu la force de lui tirer dessus. Le maréchal crut là-dessus que les soldats n’avaient qu’à se présenter pour vaincre, et ordonna qu’on allât à l’assaut le douzième octobre à huit heures du matin (3). Le régiment de Normandie descendit par les vignes, passa la rivière à gué, et s’alla poster au pied du grand bastion, d’un autre côté la noblesse et les volontaires qui se trouvèrent dans l’armée au nombre de cinq cents mirent pied à terre, s’avancèrent jusques au petit pont, et se préparèrent à passer par-dessus la chaussée pour aller attaquer l’autre bastion qui était du côté du moulin.
Un chacun était attentif au succès d’un événement si considérable, le spectacle était grand, les montagnes des environs étaient couvertes de gens qui étaient accourus au bruit de cette journée, pour être témoins d’une action si mémorable par tant de circonstances. Un profond silence (qui régnait de côté et d’autre) rendait ce moment plus majestueux. Dusson, qui commandait à la brèche, avait défendu de tirer: il savait qu’un soldat qui a tiré son coup croit n’avoir rien plus à faire et ne songe plus qu’à se retirer. Il résolut donc de les attacher par l’action et de repousser les ennemis l’épée à la main. Saint-Blancard (qui voulait conserver ses soldats) avait voulu qu’on laissât monter les ennemis sur la contrescarpe et descendre dans le fossé pour les assommer sans aucun danger lorsqu’ils voudraient monter dessus la brèche, mais Dusson lui représenta que c’était donner un avantage aux ennemis trop glorieux que de les laisser entrer jusque dans leur fossé, qu’il fallait les aller attendre le plus loin qu’ils pourraient, que dans cette occasion il fallait disputer un pouce de terre jusqu’au dernier moment de leur vie et qu’ils ne devaient songer à leur opposer d’autre rempart que leurs propres personnes. Saint-Blancard se retira derrière le bastion pour donner les ordres au-dedans de la place et Dusson descendit dans le fossé à la tête de ses Cévenols, et s’avança jusques à la pointe de la demi-lune pour garder ce poste (4). Le régiment de Normandie (qui était descendu comme nous avons déjà dit jusques au bastion) commença à attaquer dans cet endroit, tandis que la noblesse attaquait le moulin. La première ardeur fut bientôt ralentie par la résistance que Dusson leur opposa. Le capitaine Valette se présenta des premiers avec une hache à la main et fit périr un nombre infini de ceux qui étaient prêts à monter. Dusson, avec une ardeur infatigable, brillait partout: il pressait les ennemis d’un côté, il animait les siens de l’autre, et se portait toujours avec plus d’ardeur partout où le péril était plus grand. Le combat fut sanglant et opiniâtre, les ennemis attaquèrent avec beaucoup de vigueur, mais ils furent repoussés avec tant de résolution que leur valeur ne servit qu’à augmenter la gloire de Dusson. Il fit dans cette occasion des actions d’un mérite extraordinaire, il se signala par un courage invincible et par une conduite d’un capitaine consommé. Il fut secondé par Amboix et par Escaich (5) qui donnèrent des marques d’une valeur incroyable. Les ennemis ne purent longtemps résister contre tant de vigueur et, étant repoussés plusieurs fois, ils furent obligés de se retirer en désordre. Le Maréchal, au désespoir d’avoir échoué dans une entreprise dont il attendait un plus heureux succès, les renvoya jusques à trois fois, mais ils rencontrèrent toujours plus de résistance et plus d’opiniâtreté, les assiégés se rassuraient et prenaient une nouvelle ardeur par des nouveaux dangers. Jamais il ne s’est fait de si grandes actions qu’il s’en fit de côté et d’autre dans cette occasion. Jamais les courages n’ont été si échauffés. Les uns combattaient pour la gloire, les autres pour la religion: deux des plus puissants mouvements qui agitent le cœur des hommes. Il se perdit dans cette journée un nombre infini de braves gens, les ennemis y laissèrent cinq cents hommes, les assiégés quatre vingt (6). Dusson perdit cinq ou six officiers des troupes qu’il avait conduites, au nombre desquels était Valette, La Reule son beau-père y fut tué d’un éclat à la tête, Escaich et Amboix ses beaux-frères blessés.
Les femmes venaient animer leurs maris et leurs enfants, et les échauffaient au combat, autant par leurs exemples que par leurs paroles. Il y en eut neuf qui furent emportées d’un seul coup de canon. Il arriva deux choses assez particulières: une femme ayant eu son bras emporté d’un coup de canon, le ramassa et l’alla enterrer. Une autre voyant son mari blessé à la tête et n’ayant d’autre linge que sa coiffure, s’en servit pour bander sa plaie. Le mari retourna à la brèche et eut la tête emportée par un coup de canon. Un moment après, la femme s’en vint là-dessus et, ne voyant point son mari, en demanda des nouvelles. On lui montra son corps étendu sans tête: «Ah ! ma coiffure est perdue !» (7), s’écria-t-elle, et continua d’apporter de la terre. Du côté du moulin, la noblesse fit des efforts incroyables. Sarraute, parent de Dusson, était entré dans le moulin mais il fut assommé à coup de pierres par les femmes, qui le tirèrent ensuite dans la ville par les cheveux. Mais dès qu’il fut reconnu, Dusson le fit emporter chez lui et lui fit rendre les honneurs funèbres qu’on doit à une personne de condition et que mérite une mort aussi glorieuse que la sienne. Le vicomte de Selles ayant planté une échelle pour monter au même endroit, il vit une femme au bout qui tenait des pierres pour l’empêcher de passer outre. Il lui tira un coup de pistolet et lui perça un téton. La femme ne fit que poser une main sur sa plaie et lui tira de l’autre une pierre qui le fit tomber mort dans le fossé.
(1) Chiffre un peu exagéré (comme celui donné par Rohan: «dix-huit cents coups de canon tirés en trois jours») si l'on en croit Saint-Blancard qui donne un compte quotidien des coups de canon. Après le 9 octobre (jour de son entrée en ville) qui «se passa sans guère tirer», les canons royaux tirent selon lui 564 coups le 10, 445 le 11 et 259 le 12 avant l'assaut. Soit 1268 coups en 3 jours et 54% des 2357 coups recensés au total (il ne manque le compte que pour 4 journées a priori peu fournies), rythme jamais vu depuis le début du siège, la seule période soutenue de bombardement ayant été du 15 au 18 septembre. Saint-Blancard note que lors des derniers pourparlers le 15 septembre, les capitaines protestants (Damboix et Larboust) auraient fait dire au maréchal qu'ils «ne voulaient faire aucune réponse qu'après avoir ouï tirer 2000 coups de canon, après lesquels ils s'aviseraient à quoi se résoudre».
(2) Ce genre de notation et d'information indique que Dusson, par sa carrière militaire ultérieure, a pu recueillir des récits du siège par d'anciens membres de l'état-major de Thémines.
(3) Saint-Blancard indique que le canon tire «depuis le matin jusques à deux heures après-midi» puis que «par tous les quartiers, grande fanfare de trompettes et tambours, et grand charroi d'échelles au quartier du maréchal. Ceux de la ville font la prière à tous les quartiers». Mais il écrit aussi plus loin que «le canon tira toujours et qu'après avoir tiré leurs boulets, ils tiraient avec des plats, des balles de mousquet et des assiettes qui sans doute faisaient autant de mal aux leurs qu'aux nôtres», ce qui pourrait indiquer que l'assaut a commencé plus tôt que le début d'après-midi.
(4) La portion du rempart attaquée longe l'Arize de la porte menant à la Grotte au sud aux maisons faisant rempart dans la rue des Gouzis au nord qui joignent les fortifications de la porte d'Albech menant au pont et à la route de Sabarat. Entre les deux, du sud au nord, se trouvent le bastion du moulin, le moulin et sa tour, le ravelin qui joint la courtine (et en avant la demi-lune) par une tenaille, puis le grand bastion. Le dispositif de défense au début de l'assaut selon Saint-Blancard est le suivant: Lasserre, Dalqué et Valette à la demi-lune, Faucon, Damboix, Ermet, Larousselière et Maistre vers le ravelin, Vaumale dans les maisons de la rue des Gouzis, Larboust (blessé la veille) «au milieu de la place d'armes (…) pour charger l'ennemi au lieu qu'il entrerait». Saint-Blancard lui-même s'en allant «attendre la première attaque au bastion et demi-lune, en la tenaille desquels la brèche était si aisée qu'une charrette y eût pu monter». L'essentiel de l'assaut (avec le régiment de Normandie) portant sur le moulin, Saint-Blancard y envoie Arman et une troupe de soldats de Pamiers avant d'y aller lui-même. Puis, après la mort de Lasserre et Valette à la demi-lune, il s'y rend et participe finalement aux combats autour du grand bastion «où les capitaines Faucon, Damboix, Descaich, Dusson, Teissier, Dufesq, Larousselière, Madron, Pitorre, Félix y firent fort bravement». C'est le seul moment de l'assaut où il mentionne Dusson dans un récit où il joue le rôle dirigeant que se donne ici Dusson.
(5) Les Mémoires écrivent Escah et mentionnent plus bas qu'il était, comme Damboix, beau-frère de Dusson. Le général d'Amboix (qui le nomme «Ducasse de Larbont») précisera dans sa conférence de 1912 qu'«ils avaient épousé deux sœurs: Suzanne et Marguerite, filles de Tristan Dusson», le père du François des Mémoires. Cet Escaich ou Descaich (orthographe utilisée par Saint-Blancard au moment des combats du grand bastion) serait donc le Larboust qu'il place quelques moments plus tôt sur la place d'armes. Et qu'il indique à la tête des assiégeants avec Damboix jusqu'à son arrivée (avec en plus Valette à partir du 21).
(6) Les autres récits protestants donnent des chiffres comparables: «50 ou 60 hommes ou femmes» tués et «quatre vingts ou cent» blessés chez les assiégés, «environ de 600» tués «et autant ou plus de blessés qui moururent quasi tous» chez les assiégeants (Saint-Blancard); «plus de cinq cents hommes» chez les assiégeants (Rohan). Les récits catholiques contemporains ne donnent pas de chiffres. En 1745, l'Histoire générale de Languedoc s'alignera sur ces chiffres protestants (fourchette basse pour les assiégeants, haute pour les assiégés étant donné les sources): pour les assiégeants «quatre à cinq cents hommes, tant tués que blessés (...). Les assiégés perdirent, de leur côté, soixante, tant hommes que femmes, et eurent une centaine de blessés».
(7) En occitan, quelque chose comme: «Ma cofadura qu'es perduda», cofadura signifiant aussi bien coiffure que chapeau, bonnet. Avec peut-être un jeu de mot en lien avec descofar (écosser, décoiffer).
Thémines lève le siège
C’est ainsi que se passa cette célèbre journée, qui devait décider non seulement du destin du Mas, mais aussi de celui de tout le parti des Réformés. Enfin le Maréchal, voyant la place secourue, la saison avancée, les pluies et le mauvais temps approcher, et ayant manqué cette journée avec toutes ses forces, fut obligé de lever le siège. Le désordre où il était lui aurait fait perdre le canon si les assiégés n’eussent craint que ce canon aurait pu être l’occasion d’un second siège le printemps prochain, si bien qu’ils le laissèrent retirer fort tranquillement sans lui porter un seul obstacle.
C’est la seule occasion où Dusson s’est servi de son épée et de sa valeur contre son Roi: il disait que depuis ce temps, il sentit toute sa vie une secrète confusion qui lui faisait la plus grande peine du monde. Il écoutait avec douleur ce qu’on lui disait de flatteur sur cette journée et prenait pour des reproches secrets toutes les louanges que lui attiraient le mérite et la gloire d’une action si éclatante. Ce siège lui avait causé de grandes pertes, l’on avait brûlé ses maisons à la campagne (1), tué son bétail, ruiné sa récolte. Il s’appliqua avec beaucoup de soin à rétablir son bien et, comme il avait un génie propre à se mettre en état de réussir à tout ce qu’il voulait entreprendre, il fit si bien qu’il se mit en état dans peu de temps de faire la même dépense qu’il faisait auparavant et de vivre dans la province avec le même éclat et la même distinction qu’il y vivait avant la guerre.
Cependant, quoique son action lui eût donné beaucoup de chagrin, elle ne laissa pas de produire un grand bien, car l’heureux succès que les Réformés eurent au siège du Mas releva si fort leur parti qu’il rentra dans une grande considération, et firent résoudre la Cour de faire la paix avec des conditions très avantageuses pour eux, car toutes les fortifications leur restèrent et le Roi d’Angleterre demeura le garant de leur traité (2). Mais la paix qui se conclut bientôt entre la France et l’Espagne fut l’occasion d’une nouvelle guerre contre les Réformés. Le Roi ne se trouvait point en sûreté tant qu’il voyait dans son État un parti qui devait être éternellement le prétexte de tous les malcontents et un feu caché dont ses ennemis étaient toujours en état de se servir pour embraser tout le royaume. Si bien qu’après avoir mis ordre aux affaires de dehors, il songea à régler celles de dedans et, pour aller chercher le mal jusque dans sa racine, il se prépara au siège de La Rochelle, qui était une porte ouverte aux Anglais pour le secours des Réformés. Il prit cette importante place et abattit si fort le parti qu’il l’obligea à lui demander la paix, laquelle il lui accorda par sa clémence ordinaire le 27 juin de l’année 1629 (3). Dusson fut député de l’assemblée générale pour traiter cette paix, où il contribua beaucoup à porter le parti à accepter les conditions que le Roi leur voulut donner, et dont Sa Majesté lui sut si bon gré qu’il lui donna des récompenses honorables, dont j’ai des témoignages glorieux parmi les mémoires qui m’ont été fournis.
(1) Le cadastre de Las Bordas (Les Bordes) en 1647 montre par exemple que Dusson est le premier propriétaire de la communauté grâce au domaine noble de La Bourdette. Ce qui peut expliquer qu'il soit celui qui a le plus d'informations sur ce qui s'y est passé.
(2) À la différence de la paix qui suivit le siège de Montpellier en 1622 et qui entérinait un net recul de la puissance militaire protestante, celle de Nîmes début 1626 permettait un statu-quo puisque La Rochelle et Montauban conservaient leur statut de place forte protestante.
(3) La capitulation de La Rochelle après plus de 13 mois de siège fin 1628 et la prise de Privas en 1629 forcèrent Rohan et les protestants à accepter la fin des garanties militaires et politiques de l'Édit de Nantes et être ainsi à la merci du Roi.
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