Récit véritable de ce qui s'est passé en l'armée du Roi commandée par Monsieur le Maréchal de Themines au pays d'Albigeois et Comté de Foix, és mois d'août et septembre derniers

Récit véritable de ce qui s'est passé en l'armée du Roi commandée par Monsieur le Maréchal de Themines au pays d'Albigeois et Comté de Foix, és mois d'août et septembre derniers. Ensemble la prise de plusieurs villes et places fortes sur ceux de la Religion. Avec l'arrêt de la Cour de Parlement de Tolose pour la convocation du ban et arrière-ban. À Paris chez Pierre Ramier, rue des Carmes, à l'image S. Martin, (7 septembre) 1625.

Ce texte mal relu et vite publié est l'une de ces feuilles volantes qui permettaient de recueillir les dernières nouvelles arrivées à Paris et de les diffuser en cours de campagne. Appartenant à la Bibliothèque du protestantisme, il a beaucoup d'intérêt puisqu'il est daté du 7 septembre où l'on sait juste que Thémines «va attaquer Le Mas» où les habitants des Bordes et Sabarat se sont réfugiés après l'incendie de leurs maisons. Sur Les Bordes, il donne des renseignements non repris ailleurs comme la pendaison démonstrative des survivants des Bourrets devant le village et une petite bataille sous ses murs plus importante qu'ailleurs (puisque même Thémines est touché). Avant cela, il a nommé deux autres combats autour du Carla en plus de Jean-Bonet et offre une datation précise: 27 août pour Calmont, 29 pour Les Bourrets, 31 août et 1er septembre pour Les Bordes. Les nouvelles mettaient donc une petite semaine à arriver à Paris depuis le Comté de Foix. 

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Monsieur le Maréchal de Themines ayant quitté (avec l'armée par lui commandée pour le Roi) le pays d'Albigeois, il se serait jeté dans la Comté de Foix. Et sur le vingt-sixième août, ayant investi une petite ville appelée Calmont, sur la rivière de Lhers, l'ennemi se serait sauvé à la faveur de la nuit, et mis le feu à leur lieu. Il est vrai que dans leur chemin, il en fut pris par la cavalerie : dix qui furent tués ou pendus, les autres (1) se seraient jetés dans Mazeres et Saverdunt (villes rebelles). Et les soldats de l'armée (remis au dit lieu de Calmont où le feu fut mis par l'ennemi), y ayant fait quelque mine, ayant joué (2), brûla et incommoda quelques soldats de l'armée.

De là en hors, ledit sieur Maréchal s'en alla loger à une ville appelée Sainct Ybars, assise à deux lieues des bordes de Sabarat. Et étant parti dudit Sainct Ybars avec l'armée, il commence à prendre trois forts auprès de la ville du Carla appelés de Bonnet, les Fustres et Cavales, qui furent en même temps brûlés et eux dedans pendus ou tués. Il continue son chemin droit audit Bordes et Sabarat qui étaient deux bonnes villes. Et le long de ce chemin, l'armée aurait mis le feu à plus de cent maisons ou forts des rebelles, ensemble à la gerbe et pâturages. Ledit sieur étant arrivé au lieu de Campagne près ladite ville des Bordes le 29 août, il fit attaquer un fort (3) près ladite ville de deux portées de mousquet, où il fait tirer 26 coups de canon. Ceux de dedans n'étaient que quinze : les dix furent tués et les cinq pendus à un noyer à la vue de ceux de ladite ville des Bordes. Desquels cinq y avait deux frères, et l'un pendit les quatre et il fut pendu le lendemain par le bourreau. Le dernier d'août, la ville de Bordes, proche de celle de Sarabat fut investie (4) par les régiments de Normandie, Delclaux, Cruzel, Thoulouze, Marquis de Mirepoix, Comte de Carmain, Comte de Noué, et de Vantadour, où il y a six ou sept mille hommes et sept ou huit cents maîtres. Ledit jour sur le soir, les approches furent faites fort heureusement et continuées le lendemain de matin. Et parce que l'ennemi vidait le bagage à la faveur d'une montagne du côté du mas Dazil des dites villes rebelles, et paraissaient au sommet de cette montagne quantité de soldats, Monsieur le Maréchal fait mettre en ordre le régiment de Normandie et de Thoulouze, et prend la cornette de cavalerie de Monsieur de Dalon, et s'en vont attaquer ses gens, où il y eut combat qui dura environ deux heures et l'ennemi s'enferma dans ladite ville du Mas. Et après il y eut neuf ou dix de l'ennemi de tués et deux soldats de Normandie. Monsieur le Maréchal fut atteint d'une mousquetade qui lui emporta la tassette (5) du pourpoint et une pièce de sa chemise mais Dieu merci il ne fut point blessé. Monsieur de Dalon fut blessé au gras de la jambe. 

L'ennemi étant si épouvanté que ceux de Sabarat, voyant le combat, mirent le feu à la gerbe et maisons qui sont à l'entour de leur ville, comme aussi ceux du Mas d'Azil. Trois pièces de canon furent braquées sur les trois heures du soir à ladite ville des Bordes. Ce fait, Monsieur le Maréchal envoie le trompette du Roi les sommer de se rendre. Il y eut un pourparler qui dura jusques à la nuit et le ministre et un autre de la ville étant venu rendre réponse sur la minuit, sans attendre icelle ceux de la ville mirent le feu à icelle et se sauvèrent. Et à même temps, ceux de Sabarat mirent pareillement le feu à la leur et se sauvèrent. L'armée se jeta dedans et nonobstant le feu ils retirèrent encore force pillage lors perdu aux démolitions des murs de l'une et l'autre de ces (6) deux villes qui étaient bien fortes avec de grands retranchements et demi-lunes (7). Monsieur le Maréchal s'en va attaquer ladite ville du Mas où tous ceux des Bordes et Sabarat sont réfugiés. Dieu veuille bénir son dessein et armée du Roi : c'est ce qui s'est passé jusques aujourd'hui septième septembre mil six cents vingt cinq. L'armée grossit par le nombre de montagnards. Le ministre des Bordes et autres (8) est au pouvoir dudit sieur Maréchal.

FIN (9)

(1) Le texte redouble «autres».

(2) «En termes de guerre, on dit faire jouer la mine, le fourneau, le canon pour dire y mettre le feu, le tirer pour faire brêche» (Furetière).

(3) Les Bourrets.

(4) Le texte écrit «investestie».

(5) «Partie de l'armure d'un homme de guerre qui est au dessous de la cuirasse, qui couvre les cuisses. On le disait autrefois des basques d'un pourpoint» (Furetière).

(6) Le texte écrit «ses».

(7) La phase devant Les Bordes est ici beaucoup plus complexe que dans les récits qui suivront (à part Dusson) avec apparemment des troupes du Mas qui se montrent en haut de la montagne, des défenses préparées, une attaque en règle. Pour Sabarat, l'incendie semble en deux phases: d'abord autour du village puis le village lui-même. 

(8) Le pasteur des Bordes desservait aussi Sabarat depuis un accord entre les deux communautés à la fin du 16e siècle.

(9) Suit un «Extrait des registres de la Cour de Parlement de Tolose» reprenant tel quel l'extrait publié un peu plus tard par le Mercure (nous y signalons les quelques détails qui diffèrent).

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