Le Mémorial historique contenant la narration des troubles et ce qui est arrivé diversement de plus remarquable dans le Pays de Foix et diocèse de Pamiers

Curé à Foix puis, à partir de 1639, à Bénac en Barguillère, Delescazes (assassiné en 1647 par des proches qui voulaient lui prendre sa cure du fait de sa maladie (1)) est l'auteur d'une très partisane mais très utile histoire des troubles religieux en Pays de Foix, qui fait le pendant pour la période allant jusqu'au règne de Henri IV de l'Histoire des Comtes de Foix écrite par le pasteur Olhagaray. Son récit de la campagne de Thémines en Foix, s'il n'ajoute pas grand chose à ce que l'on sait du siège du Mas d'Azil, donne des informations précieuses sur l'environnement et les autres opérations armées protestantes, mais aussi une chronologie légèrement différente.

Jean-Jacques Delescazes, Le Mémorial historique contenant la narration des troubles et ce qui est arrivé diversement de plus remarquable dans le Pays de Foix et diocèse de Pamiers depuis l'an de grâce 1490 jusques à 1640, Toulouse, Arnaud Colomiez, 1644 (réédition critique par l'archiviste de l'Ariège F. Pasquier et la Société Ariégeoise des Sciences, Lettres et Arts à Foix, Veuve Pomiès, en 1895; réimpression par Soula en 1989), chapitres 44 et 45, pp.190-195 (pp.146-149).

Téléchargeable sur Tolosana (Universités toulousaines): https://tolosana.univ-toulouse.fr/notice/07557456X


(1) Voir à ce sujet les deux articles (1894 et 1896) de Georges Noblet en appendice à la réédition du Mémorial historique: Le meurtre du curé Delescazes, auteur du Mémorial historique, d'après des documents inédits (1647); Incidents de la vie du curé J.-J. Delescazes, l'auteur du Mémorial historique, d'après des documents inédits.

__________


Le 7 mai au courant, sur quelque bruit de guerre, ceux de Mazères et autres rebelles, attisant davantage le feu de rébellion, prirent les armes de toutes parts. Et le 14 du dit mois, les mêmes étant en nombre de 500 hommes, entreprirent de se saisir du Fossat. Mais ils furent repoussés et leurs forces inutiles. 

Le 16 du dit mois, les volontés des habitants de Saverdun étant conformes à celles des autres rebelles, pour continuer l'horrible confusion qu'ils méditaient à la ruine des catholiques, saisirent prisonnier le sieur Clarac et, l'ayant fait lier et garroter, fut après conduit au lieu du Vernet avec promesse que si les habitants voulaient mettre entre leurs mains la place, il serait mis en liberté. Sur le refus desquels habitants, avant leur retour à Saverdun le dit sieur Clarac se sauva, heure de nuit, à la faveur de la rivière dans laquelle il se jeta à corps perdu. 

Le 5 de juin suivant, les mêmes habitants, faisant des courses (1), arrêtèrent prisonniers de guerre les voituriers et autres passants avec leurs chevaux et marchandises, continuant ainsi leurs maléfices et ravages dans ce maudit désordre. Qui fut cause que, pour arrêter leur félonnie et écorner leurs pernicieuses conjurations, le seigneur de Thémines, maréchal de France, ayant commandement du Roi de conduire son armée vers le Païs de Foix, se transporta à Calmont, l'assiégea et le prit le jeudi 21 août 1625. Le vendredi au soir, 22 du dit mois, les habitants s'étant sauvés, le feu y fut aussitôt mis dedans par l'armée qui le démantela, abattit le pont et 4 des rebelles furent pendus à un arbre.

Le vendredi 29 du dit mois, le dit sieur de Thémines, avec les sieurs comte de Carmaing, le marquis de Ragny et Castagnac, entrèrent avec l'armée au dit Païs de Foix. Et la suite de leur entreprise les fit passer outre dans l'exécution de leur légitime dessein pour abattre l'insolence des rebelles, artisans de leur propre malheur. Si que le 30 août, le dit seigneur de Thémines, accompagné du sieur comte de Carmaing (gouverneur du dit Païs, qui toujours a eu ses desseins aussi hauts que son courage et ses projets relevés au-dessus du commun), ensemble de la dite armée (composée de régiments de Normandie, Crussol, Ventadour, Vaillac, Mirepoix, Tolose, Baillac, Aigue-Bonne, avec trois régiments ramassés des communes tant du haut que du bas Païs de Foix joints à la dite armée dont le premier était le régiment d'Ansignan, le second celui de Durban conduit par le sieur de Lapasse-Moulins, et le troisième celui de Maillac, faisant en tout le nombre de onze régiments), fit traîner de premier abord les canons vers les forts de Jean-Bonnet et des Bourrets, rebelles, situés entre le Carla et les Bordes, qui furent battus de 21 coups de canon. Quoi nonobstant, ceux de dedans se défendirent fort généreusement et où moururent 14 ou 15 soldats de l'armée (notamment Jean Soulié dit Bastide, premier sergent du régiment de Normandie, fils natif de la ville de Foix, beaucoup regretté pour son courage et zèle porté à sa patrie et service du Roi) et trente-cinq des ennemis tués ou pendus après que les dites places furent prises par la dite armée.

Le dimanche dernier d'août, les approches des villes des Bordes et Sabarat ayant été heureusement faits par la dite armée, le lundi à minuit premier septembre au dit an, le feu y fut mis par les habitants mêmes, qui se sauvèrent dans Le Mas-d'Azil. 

Après laquelle fuite et embrasement, l'armée prit sa route vers le château de Camarade, qui fut totalement démantelé, ruiné et rasé, en attendant que les canons (de difficile passage) pussent être conduits vers Le Mas-d'Azil, où furent faits les approches le jeudi onzième dudit mois de septembre, et non sans de grandes escarmouches de part et d'autre. Jusqu'à ce que les dits canons ayant été traînés sur la roche du dit Mas le même jour à deux heures après midi, les rebelles du dit Mas furent salués de 22 canonades et si heureusement que, continuant la batterie dans trois ou quatre jours, il y eut plus de 20 cannes (2) de muraille de la dite ville abattues, ouverture et brèche par trop suffisante pour donner l'assaut. Mais attendu que

César souffre tout autre mal

Sinon d'avoir qui le précède,

Pompée, en l'honneur qu'il possède,

Ne peut souffrir aucun égal, (3) 

cela fut cause que l'exécution du projet ayant été différée, la dite muraille fut tôt réparée la nuit suivante par les ennemis avec des faissinades (4) et barricades, en attendant le secours des troupes du sieur duc de Rohan qui, survenant quelques jours après à la faveur d'une nuit très obscure et pluvieuse, entrèrent dans le Mas presque sans avoir été aperçus ni coup férir. 

Le lendemain 17 dudit mois, ceux de Saverdun, Mazères et Pamiés coururent de part et d'autre, tuèrent, pillèrent, brûlèrent, saccagèrent et firent des prisonniers. Prétendant divertir l'armée royale, le jeudi 9 octobre, ceux de Pamiés avec leur gouverneur Brétigni, en nombre de 500 hommes ou davantage, coururent sur Montaut, brûlèrent la métairie de Conils et autres avec le lieu de Villeneufve. Durant lequel siège, le 11 octobre, le sieur de la Bastide, étant en garnison dans Montaut avec sa brigade de gens d'armes, entreprit (mal conseillé) d'aller à Beaupuy, accompagné seulement de ses valets ordinaires. Si qu'ayant été reconnu des ennemis, s'en revenant le soir à Montaut, fut surpris par l'embuscade de Mazères qui le poursuivit, le tua et mit cruellement en pièces avec lesdits valets, seigneur grandement regretté dans l'armée pour sa valeur piété et fidélité au service de son prince. De laquelle mort notamment le sieur comte de Carmaing et la noblesse du Païs de Foix furent extrêmement affligés. Mais ainsi les plus relevés tiennent bien souvent le jour de leur décès dans la naissance de leur triomphe. 

Or l'armée ayant trop attendu l'opportunité d'attaquer à bon escient Le Mas-d'Azil assiégé, le 12 octobre fut résolu subitement et presque inopinément de donner l'assaut du côté du pont et du moulin que le canon avait fort fracassé. Mais quantité de soldats ayant gagné le dit moulin tandis que les ennemis l'abandonnaient déjà, survint malheureusement une canonade de la part de l'armée qui tua tous les dits soldats et encouragea tellement les ennemis qu'ayant fait jouer leurs feux artificiels et souterrains, repoussèrent généreusement partie de l'armée avec quelque perte de gens et noblesse qui pressaient un bastion. 

Sur quoi le mauvais temps étant survenu avec pluies et inondation d'eau incroyable, le siège fut levé et l'armée se retira, laissant ceux du Mas-d'Azil aux abois dans leur misère, le dégât de leurs vignobles ayant été fait, en suite d'autres pertes et incommodités par eux reçues. 

Quoi nonobstant, le 29 du dit mois, ceux de Mazères, de Pamiés et Saverdun, revigorés et encouragés par le sinistre succès de l'armée catholique, continuèrent leurs désordres et malversations jusqu'à l'hiver suivant. Auquel temps aussi le sieur de Thémines fut mandé par le Roi de conduire son armée devers la Rochelle, et le sieur comte de Carmaing s'en alla à la Cour où il fut très bien reçu par Sa Majesté. Et peu à peu, les fougues et violences des ennemis s'avoisinèrent de leur fin. 

Les prémices de la nouvelle année 1626 eussent été extrêmement douces si elles eussent pu donner espérance d'un progrès équipollent (5), mais les appareils (6) et pratiques en Espagne firent prévoir que l'entreprise par trop hardie envelopperait en même filet quelqu'un des partisans en France, entravés encore des chaînes de leurs mauvaises habitudes et notamment en Païs de Foix. Puisqu'en la dite année, au mois de février suivant, Capredon, rebelle de la ville de Mazères, officier du duc de Rohan, serviteur voulant élever ses folles prétentions plus haut que son mérite et sa basse condition ne permettaient, fut attrapé venant de négocier pour son maître avec l'Espagnol contre l'État de France. Si qu'enfin, conduit à Toulouse où le procès lui fut fait, demeura par arrêt du Parlement condamné à mort et exécuté. Et c'est ainsi qu'on retrancha la vie à celui qui fut trop grand de toute la tête, par lequel moyen on raccourcit l'ambition qui excéda sa juste mesure. 


(1) «Course signifie aussi incursion, invasion subite, acte d'hostilité. Les Tartares ont fait quelquefois des courses jusqu'en Moravie. Les galères de Malte sont en coure, vont faire des courses jusqu'aux Dardanelles» (Furetière). 

(2) Soit environ 36 mètres.

(3) Delescazes semble indiquer qu'il y a désaccord dans l'état-major de Thémines, a priori entre Carmain (dont Delescazes est un chaud partisan, sans doute pour l'avoir fréquenté à Foix) assimilé à César et Thémines lui-même, assimilé à Pompée.

(4) Occitanisme: faissinada, palissade faite de gros fagots, de fascines (faissina).

(5). «Ce qui égale en valeur une autre chose à laquelle il est comparé. Les belles traductions ne se font pas mot à mot, mais en termes équipollents» (Furetière).

(6) «Appareiller. Assortir, trouver un pareil à quelque chose pour les joindre ensemble. C'est la même chose qu'apparier.» «Appareilleuse. Se dit en mauvaise part d'une femme qui fait des intrigues et des commerces d'amour, et qui prépare les plaisirs des autres» (Furetière).


Commentaires

Articles les plus consultés